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Photo du rédacteurPhacelia Marlène Vissac

La réserve utile des sols et le régime hydrique

Cette année il pleut, il pleut, il pleut ! Si bien que les enjeux de l'eau semblent avoir été emportés, érodés. Plus personne ne se plaint de sécheresse. Plus personne ne se préoccupe de manquer d'eau. Pourtant, qu'il manque d'eau ou qu'il y en ait trop, cela relève d'un déséquilibre à accompagner pour augmenter la résilience des outils de productions qui restent bel et bien à bout de souffle. Certains territoires sont inondés, d'autres en carence tant les précipitations ont dilué la valeur nutritionnelle des prairies ou ont empêché la croissance des cultures.

Alors, pendant qu'il pleut, concentrons nous sur la capacité des sols à absorber ou non toute cette eau, en espérant qu'elle y reste jusqu'à la prochaine sécheresse !


1. Micro et macro porosité définissent la structure du sol


La solution du sol est la fraction liquide de ce dernier et est riche en ions et molécules minérales et organiques. Par rapport aux constituants solides, qui traduisent souvent d’une évolution à long terme, elle reflète le fonctionnement actuel. La teneur globale en eau d’un sol est soumise à des changements très rapides, fonction des précipitations, de l’évapotranspiration et des remontées capillaires. Ces dernières varient selon le dénivelé, le taux de matière organique et de la porosité du sol, ainsi que son assolement. La pérennité de la solution du sol le long d’un bassin versant dépend beaucoup, de la perméabilité de la roche sous-jacente. Par exemple sur des gneiss imperméables, la même eau peut traverser successivement de nombreux sols alors que sur un calcaire fissuré, elle disparaît immédiatement en profondeur. La solution du sol influence les êtres vivants de multiples manières et à des échelles variées. Il y a la nutrition des plantes, puisque celles-ci y plongent leurs radicelles pour absorber l’eau et les éléments nutritifs qu’elle contient. La solution du sol joue ici le rôle d’intermédiaire entre les cellules du rhizoderme et le complexe argilo-humique. À une autre échelle, la solution du sol régule les échanges nutritifs de tous les organismes unicellulaires qui y vivent de manière « incluse », comme les bactéries ou les protistes. Leur nutrition se fait directement à travers leur membrane cellulaire, d’où une grande sensibilité à toute variation de la qualité de la solution du sol. Des stratégies d’évitement in situ sont alors mises en place, comme la sporulation ou l’enkystement, menant à des formes de vie ralentie abaissement au maximum le métabolisme, et par là la respiration et les besoins en oxygène. Selon le degré d’humectation, les vides du sol sont occupés en majeure partie soit par l’eau soit par l’air. Leur ensemble représente la porosité, une propriété du sol qui reflète le volume des vides du sol, exprimé en pourcentage du volume total. La porosité donne une bonne idée de l’état structural.


Selon la taille des pores, elle se subdivise en : 

  • Macroporosité (> 50 microns), pouvant être remplis par l’eau gravitaire rapidement drainée et souvent colonisés par les racines de taille moyenne ;

  • Mésoporosité ou porosité capillaire (de 0,2 à 50 microns) retenant l’eau utilisable par les plantes ;

  • Microporosité (inférieurs à 0,2 microns) retiennent l’eau dite inutilisable.

     La mésoporosité dépend beaucoup de la texture, la macroporosité surtout de la structure. 


    La porosité renseigne sur les capacités hydrique ou atmosphérique d’un sol, en volume ou en flux. La seule indication de la porosité ne suffit pas car la circulation de l’eau ou de l’air dépend aussi des relations entre les vides du sol et leur mode d’arrangement. Le potentiel général de circulation de l’eau dans le sol est révélé par sa conductivité hydraulique. Quant à la circulation de l’air dans le sol, en particulier de l’oxygène, elle est déterminante pour la croissance racinaire et l’activité de la microflore, très sensible au degré d’anoxie. Les échanges gazeux se font par équilibrage entre atmosphère du sol, atmosphère hors sol et gaz dissous dans la solution du sol. 

EN RÉSUMÉ

Marcoporosité = porosité structurale

Microporosité = porosité plasmique

2. Le régime hydrique


Le régime hydrique est la résultante des variations de teneur en eau du sol au cours de l’année. Le régime hydrique du sol dépend directement des trois propriétés déjà abordées : 

  • La texture qui détermine les forces de rétention de l’eau

  • La structure qui influence la circulation de l’eau

  • La porosité qui définit le volume du réservoir hydrique du sol


La quantité « totale » d’eau retenue par un sol est la différence de poids d’un échantillon avant (poids frais) et après (poids sec) dessiccation à 105°C. Facile à déterminer, la teneur en eau est en réalité pauvre en renseignements écologiques en raison de son extrême sensibilité aux précipitations récentes, à la condensation, au drainage ou au couvert végétale.  Ce qui est beaucoup plus intéressant est la répartition de l’eau en fonction des capacité de rétention du sol… Dans le sol, l’eau se présente sous trois états principaux, en fonction de la force avec laquelle il la retient et selon la disponibilité pour les plantes : eau de gravité, eau utile et eau inutilisable. Leur part respective de teneur en eau dépend de la texture (variante immuable) et du taux de matière organique. 


L’eau de gravité ou eau libre est la plus mobile, elle remplit la macroporosité et la noie par gravitation jusqu’au point de réessuyage. Elle n’existe dans les sols que dans les heures ou les jours qui suivent une précipitation ou en cas de nappe phréatique superficielle permanente. Quand les forces dues à la gravitation s’équilibrent avec la force de rétention du sol, le point de ressuyage est atteint : l’eau restante est conservée dans le sol et constitue la capacité au champ. 


Mieux retenue que l’eau de gravité, l’eau utilisable ou réserve utile (RU) remplit les pores du sol de diamètres compris entre 0,2 et 50 microns ou forme des films de 5 à 10 nm à la surface des particules. Les racines l’absorbent jusqu’au point de flétrissement temporaire, réversible, puis jusqu’au point de flétrissement permanent qui est atteint lorsque la force de rétention de l’eau par le sol égale la force de succion maximale exercée par la plante. De nombreux microorganismes vivent dans ces films d’eau tels les nématodes, les protozoaires qui constituent les flux d’eau capillaire. En dessous du point de flétrissement permanent se trouve l’eau inutilisable par la plante. Seule une évaporation intense permet de l’éliminer. 

Trois forces agissent sur l’eau du sol, délimitant les catégories ci-dessus : 

P : la force de gravitation découlant de l’attraction terrestre

F : la force de rétention par les solides

S : la force de succion des plantes

Ces forces, parfois assimilées à des pressions, sont exprimées en mégapascals (MPa), en bars, en atmosphère, en centimètre d’eau ou de mercure !


Le pF correspond au potentiel matriciel ou potentiel capillaire défini comme l’énergie résultant de la pression de l’eau due aux effets de liaison autour des particules solides et aux effets de capillarité dans les pores. Le potentiel matriciel ne différencie pas la part de l’eau absorbée de celle de l’eau capillaire. Il reflète l’affinité globale de l’eau pour l’ensemble de la matrice solide du sol. Il est donc primordial de travailler à l’amélioration de la structure et de la porosité avant de stocker d’important volume d’eau. Car si le sol ne peut pas l’absorber et le retenir à destination de la vie, alors le stockage de l’eau est vain. 

La réserve utile en eau du sol est avant tout biologique. Le réservoir utilisable en eau (appelé réserve utile, RU) est une propriété hydrique du sol. Elle est mesurée pour déterminer la quantité d’eau que le sol peut stocker et restituer à la plante. Elle est intrinsèquement liée à la nature du sol et au couvert végétal qui lui est associé (prairie, forêt, culture, …). Les différents techniciens, n’ayant pas exactement la même définition de la RU, utilisent des méthodes variées de calcul. Cela conduit à des évaluations différenciées entre les disciplines. L’enjeu de connaître ce paramètre avec fiabilité, est de pouvoir ajuster les pratiques d’irrigation. Ce qui est d’autant plus prégnant que le sol est de faible épaisseur, et présente une faible RU. 


Il convient en ce cas de l’évaluer avec précision. Lorsque le sol est très épais, et la RU assez élevée, la précision sur la valeur a moins d’importance. Outre le raisonnement de l’irrigation, un enjeu est également de choisir les couverts végétaux les plus adaptés dans le cadre de la transition agricole indispensable pour faire face au changement climatique et des pratiques agroécologiques. Cette donnée est également utilisée dans des applications météorologiques, par exemple pour la simulation de crues ou de sécheresse. L’INRAE du Val de Loire a créé une carte de la RU à la résolution de 90 mètres. L’hétérogénéité des propriétés des sols sur l’ensemble du territoire a demandé d’associer un degré d’incertitude aux estimations pour évaluer la RU. L’objectif étant que l’ensemble des acteurs puisse utiliser les données à bon escient et être informé sur le fait que cette RU n’est pas toujours une donnée précise.

Etat de l’eau

Force F (MPa)

Force F (bars)

Force F 

(g/cm2)

pF

Saturation maximale

-0,001

-0,01

-10

1,0

Capacité au champ

-0,006

-0,06

-63

1,8

Point de réessuyage

-0,05

-0,5

-500

2,7

Rupture du lien capillaire

-0,25

-2,5

-2500

3,4

Point de flétrissement temporaire

-1

-10

-10 000

4,0

Point de flétrissement permanent

-1,6

-16

-16 000

4,2

Terre séchée à l’air

-100

-1000

-1 000 000

6,0

Quelques valeurs du potentiel matriciel, exprimées par la force de rétention F et le pF. Source : Le sol vivant de Gobat, Aragno, Matthey

Estimation de la réserve utile

EU = ( øFC - øWP)

RU = EU x Zr = ( øFC - øWP) x Zr

RFU = RU x f

- EU est la teneur en eau utile du sol (mm/m). EU est la différence entre le contenu en eau à la capacité au champ (øFC) et la teneur en eau au point de flétrissement (øWP).

- Zr (m), la profondeur d’enracinement maximale, déterminée pour des cultures arrivées à maturité et cultivées sur sol profond.

- RU (mm) est l’eau accessible aux végétaux dans le volume de sol exploité par leurs racines.

- La réserve facilement utilisable (RFU) est la quantité d’eau qu’une plante peut extraire d’un sol sans que sa production ne soit affectée de façon notable. Elle est définie par l’introduction d’un coefficient empirique, f. Ce coefficient représente le risque potentiel de soumettre la plante à un stress hydrique et est fonction de la culture. Il est généralement admis de lui donner une valeur de 2/3.

3. Eau du sol et végétation


Par l’observation de plantes mésophiles, le point de flétrissement permanent est fixé à -1,6 MPa ou pF = 42. Mais de nombreux organismes arrivent à survivre au delà de cette limite. C’est le cas de certains champignons et levures qui survient sous forme de spores jusqu’à -20MPa, telle que Aspergillus spp. et Pénicillium spp. Un des plus résistants semble être le champignon Xeromyces bisporus qui a atteint -69 MPa. Chez les plantes, la valeur de -1,6 MPa est une limite pour celles qui ne subissent guère de stress hydrique : plantes cultivées, plantes des prairies ou des sous-bois des régions tempérées. Certaines passent cette limite grâce à l’ajustement osmotique qui leur permet de coloniser des zones très sèches. Sans compter sur le soutien des associations mycorhiziennes. 


Point de flétrissement permanent de quelques espèces

Espèces aquatiques

Espèces

Point de flétrissement permanent (MPa)

Nymphaea alba

-0,7

Nuphar luteum

-1,1

Espèces mésophiles

Espèces

Point de  flétrissement permanent (MPa)

Anemone nemorosa

-1,5

Achillea millefolium

-1,5

Lolium perenne

-1,9

Espèces mésoxérophiles

Espèces

Point de  flétrissement  permanent (MPa)

Vitis vinifera

-1,9

Picea abies

-2,2

Prunella grandiflora

-2,3

Espèces xérophiles

Espèces

Point de  flétrissement permanent (MPa)

Buxus sempervirens

-3,4

Quercus cocufiera

-4,4

Hippocrepis comosa

-5,6

Potentilla arenaria

-8,1

Aster linosyris

-10,2

Artemisia herba-alba

-16,3

Champignons

Espèces

Point de  flétrissement  permanent (MPa)

Moisissures de la 

confiture

-10,0

L’ajustement osmotique, capacité des végétaux pour mieux absorber l’eau, n’est pas la seule cause du flux hydrique à travers le système sol-plante-atmosphère. La circulation de l’eau est imposée à la plante par les conditions extérieures. Le rôle de celle-ci est de contrôler le flux par les réglages à certaines étapes du transit. Le transfert de l’eau dans le système sol-plante-atmosphère a été assimilé à un courant électrique qui traverse trois résistances : 

R1 = La résistance au passage de l’eau du sol au xylème des racines, où s’opposent le potentiel osmotique de la plante et le potentiel matriciel du sol. Le réglage se fait ici par l’ajustement osmotique ;

R2 = La résistance à la circulation à l’intérieur de la plante, des racines aux feuilles. Ici, le contrôle est assuré par les variations de pression d’eau dans certaines cellules du xylème, avec possibilités de vaporisation par les vacuoles ;

R3 = La résistance au passage de l’eau des feuilles à l’atmosphère. La régulation s’opère par l’activité des tomates, qui agissent sur la transpiration.


Les conditions climatiques générales déterminent les flux hydriques à travers les plantes. L’énergie nécessaire est d’origine uniquement physique. Certaines plantes comme le sapin ou le pin favorisent le contrôle à la sortie, fermant leur stomates dès l’apparition d’une contrainte hydrique dans le sol. D’autres comme le frêne agissent prioritairement sur l’entrée transpiratoire malgré l’augmentation du potentiel matriciel. D’autres ajustements sont liés aux rythmes de vis, les plantes ferment leurs stomates ou limitent fortement leur ouverture, lorsque les températures sont très fortes ou que l’ensoleillement est trop direct et brûlant. Elles opèrent le même mécanisme durant des périodes de sécheresse, de manière à baisser leur transpiration. Ceci permet une meilleure conservation de l’eau mais diminue l’activité photosynthétique. De nombreux maraîchers ont pu constater durant l’été 2022, que malgré un effort d’arrosage accru, les croissances ne se faisaient plus. Les plantes en plein soleil et sur sol peut poreux ne pouvait pas contrôler les résistances du flux d’eau. De ce fait l’ensemble de la colonne d’eau est une conséquence de la différence de potentiel entre les 2 extrémités de celle-ci. C’est à dire entre le potentiel hydrique du sol et celui de l’atmosphère. La plante n’utilise aucune énergie de son métabolisme pour faire circuler l’eau en son sein, si ce n’est pour les régulations nécessaire que l’on vient d’aborder. Quelques paramètres montrent des écarts : 

L’accélération de la pesanteur crée une légère dépression chez les végétaux de hautes tailles ;

Toutes les racines d’une plante ne subissent pas le même potentiel hydrique du sol, condition de l’hétérogénéité de ce dernier, des associations mycorhiziennes, des trames brunes, vertes et bleues qui maillent le territoire ;

  • Un certain décalage apparaît chez les végétaux de grande taille entre l’absorption et la transpiration, en raison de l’entrée interne de l’eau dans le xylème, contenue auparavant dans des réserves cellulaires ;

  • L’adhérence de l’eau aux parois cellulaires et la conductance hydraulique entre le sol et la feuille ne sont pas constantes.


La texture du sol a une influence sur la teneur en eau de ce dernier et son potentiel matriciel. En effet, les valeurs du potentiel matriciel aux points de ressuyage et aux points de flétrissement sont identiques pour tous les sols même si la teneur en eau correspondant à ces potentiels matriciels varie selon l’état textural. Une plante mésophile se flétrit définitivement avec environ 4% d’eau dans un sol sableux, 15% dans un sol limono-sableux ou même 50% dans certaines tourbes qui sont des pièges hydriques très efficaces. 


Il est à noter que la capacité en eau d’un sol augmente en présence de matière organique, plus cette dernière est importante et intégrée au sol, plus la capacité de rétention d’eau augmente.

L'adaptation au changement climatique doit s'opérer à la base : dans nos itinéraires techniques et les choix culturaux que nous faisons. Les objectifs sont simples : assurer que le sol soit capable de retenir longtemps l'eau capillaire afin de subvenir aux besoins des végétaux adaptés aux conditions climatiques.

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