Depuis quelques années, Hydronomie® se déploie sous la forme de tables rondes et de conférences. En fin d'année 2023, une intervention pour le salon du vin bio du Tarn a missioné Marlène Vissac, fondatrice et technicienne Hydronomie®, pour aborder le sujet de l'eau. Cette discussion a suivi un documentaire (DE L'EAU JAILLIT LE FEU de Fabien Mazzocco) traitant de l'état du marais Poitevin et des tensions autour des multiples méga bassines en projet. Traité du sujet des méga bassines est certes intéressant et politique, néanmoins assez éloigné des territoires Tarnais et Aveyronnais. La discussion a amené le public vers un aspect souvent oublié lorsque le sujet des méga bassines est abordé.
En effet, la construction de méga bassines en Charente maritime est interpellant : ce département est situé au fond du bassin versant Loire-Bretagne, il bénéficie d'un grand volume d'eau dû à sa localisation dans le bassin versant. Alors pourquoi construire des méga bassines en fond de bassin versant ? Ce fut la question qui a suscité un grand nombre de réflexions, notamment de la part d'anciens agronomes (d'environ 40 ans) autrefois chargés de déployer les choix culturaux et les itinéraires techniques en fonction des potentiels agronomiques et hydriques des territoires. Comptant sur les ruissellements provenant des têtes de bassin versant. Seulement voilà, cette stratégie n'est plus soutenable puisque les volumes d'eau captables ne sont plus suffisants pour soutenir les choix culturaux et les itinéraires techniques.
Que c'est il passé ?
Une baisse des précipitations sur l'ensemble du territoire depuis 30 ans.
Une augmentation des températures entraînant un fort taux d'évapotranspiration entraînant un besoin hydrique plus important.
Des sols en grande incapacité de stocker l'eau capillaire et d'infiltrer l'eau gravitaire jusqu'aux nappes, affaiblissement les débits des cours d'eau.
L'ablation des haies, bosquets et corridors entraînant érosion hydrique et éolienne, fort impact solaire, perte des humus stables.
ÉVAPOTRANSPIRATION VS PRÉCIPITATIONS
L'évapotranspiration est une composante essentielle du cycle de l'eau et du bilan hydrologique.
On estime ainsi que 70% de l'eau totale reçue sur une zone (précipitation) est renvoyée dans l'atmosphère à travers le processus d’évapotranspiration, tandis que les 30% restants constituent un écoulement de surface et souterrain : les dites précipitations efficaces.
Il existe deux types d'évapotranspiration pris en compte dans les études hydrologiques :
l'évapotranspiration potentielle (ETP ou ET0)
l’évapotranspiration réelle (ETR).
L’évapotranspiration potentielle ETP peut se définir comme la somme de la transpiration du couvert végétal, à travers les stomates des plantes, et de l’évaporation du sol qui pourrait se produire en cas d’approvisionnement en eau suffisant (disponibilité en eau non limitative) pour un couvert végétal bas, continu et homogène sans aucune limitation (nutritionnel, physiologique ou pathologique).
L’ETP est une valeur calculée par des formules mathématiques qui a été introduite par Thornthwaite en 1948, puis reprise par Howard Penman dans sa formule de calcul (1948). L'évapotranspiration réelle ETR est la quantité totale d'eau qui s'évapore du sol/substrat et des plantes présentes dans une zone lorsque le sol est à son taux d'humidité naturel. Elle peut être estimée par type de culture à partir d’un bilan de l’eau du sol ou issue de modélisation (modèle SIM2).
Contrairement à la pluviométrie, les valeurs mensuelles d'ETP ne varient pratiquement pas d'une année sur l'autre. Par contre, il y des variations qui peuvent être importantes d'un jour à l'autre, en fonction de la climatologie. Les facteurs qui jouent le plus sur ces variations sont les températures et le vent.
L’ÉVAPOTRANSPIRATION =
évaporation de l’eau contenue dans le sol + eau transpirée par les plantes
UNITÉ
Elle est exprimée en mm.
Pour rappel : 1 mm = 1 l/m2 ou 10 m3/ha.
Prenons l'exemple de Toulouse, une mégalopole du bassin versant Adour & Garonne, où sont produits l'ensemble des productions agricoles : céréales, protéagineuses, oléagineuses, légumes, viandes, lait, oeufs, vin, fruit. Et où l'évapotranspiration est plus importante (près du double) des précipitations.
Ce territoire cultive avec force et consommation d'énergie fossile, des productions de toutes variétés, très gourmandes en matières organiques et en eau. Les cultures produites par ce territoire ont été définies par des agronomes, qui ont comptabilisé les précipitations de tout le bassin versant amont.
Que se passe-t-il lorsque les précipitations du territoire ne suffisent plus ?
La gouvernance française prévoit de renforcer les restrictions de prélèvements en amont des territoires (fin mai - début juin en 2023 pour l'Aveyron) dit à fortes productions, à prélever de plus grands volumes dans les réserves et les cours d'eau affluents du fleuve du bassin versant (en l'occurence pour cet exemple la Garonne). Les objectifs de ces décisions sont multiples :
Assurer l'adduction des populations des mégalopoles (qui ont de plus en plus chaud et donc de plus en plus soif)
Assurer le refroidissement des centrales électriques
Assurer les besoins d'irrigation des cultures et de l'abreuvement animal.
Les résultats sont inéquitables, car même si les têtes de bassin versant ont la réputation de bénéficier de plus de précipitations, les sols n'ont pas les capacités de les stocker ni en eau verte (faible profondeur, faible quantité d'argile) ni en eau bleue en profondeur car les roches sont souvent friables et fracturées (ne permettant pas de grand volume d'eau souterraine). Les territoires à sol "plus fertile" ont donc acquis certains droits (pour assurer un rendement agricole élevé, à filière longue) qui deviennent des privilèges en plein évolution climatique. En Aveyron, sur certaines communes, les quotas du nombre de cheptel sont revus à la baisse d'année en année. Les paysans du Nord sont-ils voués à rester plus pauvres que ceux des plaines ?
COEFFICIENTS CULTURAUX (Kc) & CHOIX CULTURAL
Comment assurer l'accès à la ressource en eau pour toutes les vies et les usages humains sans creuser de fossés économiques, sociaux et écologiques ?
Cet article n'a pas la prétention d'apporter la solution miraculeuse, mais quelques pistes de réflexion et de solutions à échelle individuelle, qui additionnées font la différence.
Les coefficients culturaux Kc
Des coefficients de culture ont été établi, dans les années 60, pour différentes cultures (céréales, légumes et fruits). Ces données sont issues des mesures en cases lysimétriques (étudies & mesures de l’évolution de l’eau dans un sol) qui sont des sortes de « pots de fleurs » où sont mesurés précisément les apports d'eau et les pertes par draînage. Ces données sont disponibles pour différentes climats et donc département (se renseigner auprès de vos chambres d'agriculture par exemple).
Prenons un haricot dont ses besoins durant la période de floraison comprise entre début avril et début mai sont de Kc = 1.
Pour calculer les volumes d'eau nécessaire au haricot durant la période de floraison, il nous faut
les données en points de grille (ETP) de cette période (avril & mai), dont la valeur est de 4.
Suivant la formule : Données en points de grille x coefficients culturaux (Kc)
Pour répondre aux besoins hydriques de l'haricot en floraison, il faudra :
4 X 1 = 4 mm/jour/m2 >>> 4 m3/ha
Si le territoire ne bénéficie pas de ces précipitations, alors l'irrigation vient en renfort compléter les volumes manquants.
Ou le territoire s'adapte aux volumes hydriques disponibles et fait évoluer les productions.
Partage de quelques ressources pour faire vos calculs :
Le site de l'ARDEPI (Association régionale pour la maîtrise des irrigations) regorge d'infos techniques pour maîtriser l'irrigation de son outil de production, ici un fichier qui résume les besoins des légumes maraîchers classiques
Ici pour les autres cultures types maïs, sorgho ou encore tournesol
CIRCULATION DE L'EAU DANS LE SYSTÈME SOL - PLANTE - ATMOSPHÈRE
La circulation de l'eau est imposée à la plante par les conditions extérieures. Elle peut toutefois en contrôler le flux par des réglages à certaines étapes du transit :
R1 - Passage de l'eau du xylème des racines : potentiel osmotique sol & plante ;
R2 - Circulation à l'intérieur de la plante des racines aux feuilles : variation de pression d'eau dans certaines cellules du xylème & vaporisation des vacuoles ;
R3 - Évapotranspiration en fermant les stomates lorsque la température est trop importante et l'air trop sec.
Ces points de contrôles fonctionnent comme des résistances électriques et se mesurent en Mégapascal. Chaque végétal a un point de flétrissement propre, dépendant de ses caractéristiques et capacités d'adaptation au climat et sol de développement.
Point de flétrissement différent selon les espèces :
Espèces xérophiles (chène des garrigues -4.4 MPa, armoise herbe blanche -16,3MPa)
Espèces mésophiles (achillée millefeuille -1,5MPa)
Espèces mésoxérophiles (Vitis vinifera -1,9MPa)
Si la tension chute au niveau des stomates (feuilles) parce que l'exposition au soleil et aux températures est trop forte, que l'atmosphère est chaude et sèche, et que le sol s'assèche, une des actions à la portée de tout.e producteurice est de créer un effet parasol. Suivant les situations, une construction ombrageante peut venir soutenir la culture en attendant la croissance des arbres plantés à dessein de soutien de l'outil de production. L'avenir de la souveraineté alimentaire réside dans l'herbe et les arbres, avec une considération de l'espace en 3D.
LES PRÉCIPITATIONS EFFICACES & BILAN HYDRIQUE
Un des objectifs de l'agriculture est d'augmenter les précipitations efficaces en 2 temps :
Gérer & optimiser le ruissellement
Augmenter les capacités d'infiltration du sol
À partir de ces 2 leviers, les volumes de stockage de l'eau bleue et l'eau verte sont augmentés et permettent de combler tout ou partie des besoins estivaux.
Les précipitations efficaces, capables de recharger les nappes et les cours d'eau que l'on pompe pour irriguer, imposent de se poser la question du choix de la culture. Si les précipitations sont inférieures aux besoins des végétaux, alors nous prélevons irraisonnablement, en maintenant les crises à répétition.
Les mélanges d'espèces sont plus productifs en biomasse que les cultures pures, cequi se traduit par un prélèvement accru en eau et en azote, surtout lorsque les espèces mélangées ont des phénologies ou physiologies bien différentes.
PRÉLÈVEMENT ADDITIONNEL
Le prélèvement additionnel en eau du sol par les arbres conduisant à des solsplus secs en profondeur en fin d'été. Le prélèvement additionnel se faitessentiellement dans les horizons profonds du sol, non accessibles aux cultures.
Cela a pour conséquence d'augmenter la capacité de stockage des pluies d'automne et d'hiver. Une augmentation qui peut être significative.
RÉDUCTION DE LA DEMANDE CLIMATIQUE
Les cultures et les sols à l'ombre des arbres diminuent la demande climatique.
La diminution de l'évaporation du sol engendre des économies d'eau au profit des cultures productrices.
Pour approfondir certains sujets, le site Hydronomie regorge de ressources techniques, n'hésitez pas à les consulter et les diffuser !
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